Cet ouvrage est issu du colloque international qui s’est tenu à Lucques pour les 250 ans de la naissance de Beethoven entre le 4 et le 6 décembre 2020, organisé par le Centro Studi Opera Omnia Luigi Boccherini avec le journal »Ad Parnassum«. Son objet était l’étude de la dimension européenne de la musique de Beethoven et son influence en Europe et au-delà, aussi bien en son temps qu’au cours des XIXe et XXe siècles. Dans leur préface Malcolm Miller et William Kinderman rappellent que Beethoven est né à Bonn-sur-le-Rhin, qu’il a vécu à Vienne au cœur de l’Empire germanique, et que contrairement à Mozart ou Clementi, il n’a pratiquement pas voyagé, ce qui ne l’a pas empêché d’être très vite connu en Angleterre ou en Russie. Ils rappellent également que Beethoven a vécu à une période historique charnière entre les Lumières et le romantisme, entre la Révolution française et la restauration monarchique, entre la société de cour et le triomphe de la bourgeoisie capitaliste. Leur enquête vise à repérer l’influence du contexte historique et géopolitique européen sur la musique de Beethoven: en quoi elle en est le reflet au-delà de l’héroïsme révolutionnaire. Leur enquête vise également à suivre les modalités de la diffusion de la musique de Beethoven dans les différents pays d’Europe et au-delà au Japon et aux États-Unis, pour mettre en évidence son rôle dans le développement de la culture musicale à l’échelle mondiale.

L’ensemble de l’ouvrage rassemble dix-huit contributions regroupées en trois sections: »Politics, Aesthetics and Ideology«, »Reception Across Europe and Beyond«, »Performance and Analysis«.

Pour cerner la dimension européenne de Beethoven (influence, reflet, effets) et pour rendre compte des modalités de sa construction, toutes les contributions s’appuient sur des recherches savantes originales et sur des documents authentiques: articles de presse, critiques, esquisses et partitions, programmes de concerts, chronologie et localisation des exécutions des œuvres, état des premières publications des partitions et éditions critiques modernes. La question centrale étant de savoir comment et pourquoi la musique de Beethoven connaît une telle popularité dans le monde, par-delà et y compris les controverses qu’elle suscite.

La première partie est consacrée à l’étude de la pluralité des influences sur le processus créateur de Beethoven ainsi qu’à la pluralité des appropriations et interprétations, contradictoires, de ses œuvres. Ainsi William Kinderman s’attache à rappeler les origines et le destin paradoxal de la »Neuvième Symphonie«, mettant l’»Ode à la joie« en relation avec la mélodie du molto adagio du »Quatuor« op. 132, ce Dankgesang, chant de reconnaissance pour souligner l’importance des contrastes émotionnels voulus par le compositeur. L’appropriation plurielle de Beethoven est exposée par David B. Dennis qui rend compte des articles de presse de la république de Weimar au moment du centenaire de la mort en 1927: l’instrumentalisation procède tout autant des »communistes« que des »nazis«, avec toute la gamme intermédiaire des positions politiques. Beethoven a donc été largement instrumentalisé dans le contexte historique des années 1920–1930. Dans une perspective inversée, d’autres articles soulignent l’influence du contexte historique et géopolitique sur le processus créateur de Beethoven: les congrès de Vienne et de Véronne, la guerre de libération de la Grèce et la guerre d’Espagne au début des années 1820, la menace turque (Vienne avait été assiégée en 1683 …), la fascination pour le monde oriental (les derviches) et la défense de la civilisation chrétienne occidentale (»Les Ruines d’Athènes«, »Le Roi Étienne«), autant d’événements qui ont orienté sa création musicale à Vienne, cette ville cosmopolite (le »Trio« op.11 en est le paradigme) et dans un cercle d’amis fortement imprégné de culture antique (»L’Art poétique d’Horace« est donné en exemple).

La deuxième partie est consacrée aux modalités de transmission de la connaissance de la musique de Beethoven en Espagne, France, Angleterre, Japon, New York: les auteurs s’intéressent au rôle des institutions musicales (création de sociétés de concert: Paris 1828, New York 1842, Madrid vers 1860); à celui des éditeurs (Clementi à Londres), de la littérature (en particulier le récit de la création de la sonate »Au clair de lune« dans un livre de lecture scolaire suivi de la publication de la biographie de Romain Rolland au Japon en 1921), des interprètes (pianistes, chefs d’orchestre tels Habeneck en France ou Hermann Levi en Espagne), des transcriptions (celles des mouvements lents des »Symphonies« de Beethoven de l’organiste Edouard Batiste pour l’office de Saint-Eustache, publiées en 1855), des programmations de concerts, des méthodes de piano (avec des exemples pris dans les »Sonates«), des pratiques pédagogiques du conservatoire de Paris avec les »exercices des élèves«, les initiatives privées (l’importance des professeurs de piano allemands dans le Japon qui se modernise à la fin du XIXe siècle). Ces différentes études très documentées mettent également en évidence l’effet des œuvres de Beethoven qui ont contribué au développement de la vie musicale dans ces différents pays stimulant les divers entrepreneurs de musique.

La troisième partie fait des incursions dans le processus créateur et les solutions mises en œuvre par Beethoven pour démontrer en quoi ses choix de compositeur reflètent ses convictions politiques et spirituelles. Par exemple, sa spiritualité, ce »regard tourné vers le haut«, s’exprime par le recours aux registres extrêmes du piano (instrument dont la facture a fait d’énormes progrès alors en Europe): le paradigme en est la conception musicale de l’»Arietta« de l’op. 111, mise en regard avec celle de l’»Ode à la joie«. Les auteurs insistent également sur l’écart des registres, reflet de la tension entre le ciel et la terre (la dure réalité de la vie matérielle de Beethoven); sur sa vitalité dionysiaque mise en évidence par le chorégraphe Uwe Scholz et sa chorégraphie de la »Septième Symphonie« à la fin du XXe siècle (»lecture« spatio-temporelle qui a connu un énorme succès); sur son humour, sa critique du convenu, traits de la création beethovénienne évidents en particulier dans les »Variations« pour piano WoO 73, composées sur la mélodie d’un duo du »Falstaff« de Salieri, »La stessa, stessissima« (»la même, exactement la même« lettre d’amour); ainsi que le perfectionnisme de Beethoven toujours soucieux de l’adéquation de son écriture avec ses intentions et avec les possibilités techniques des interprètes (ce qui met en évidence les différentes étapes de l’écriture de la partie du violon du »Concerto« op. 61). Enfin, l’œuvre vocale, trop peu exécutée, est pourtant l’expression par excellence de cette dimension européenne de Beethoven, intime et politique: les langues de ses »Gesänge« utilisées sont variées (allemand, italien, anglais, latin, français) et ses chœurs soutenus par l’orchestre chantent tout autant la fraternité, la force de la musique, la foi (dans ses deux »Messes«) que le devoir de combattre l’ennemi destructeur de la civilisation chrétienne.

En définitive, cette publication donne l’occasion de réhabiliter des œuvres peu exécutées (»Le Roi Étienne«, »Les Ruines d’Athènes«, »Christus am Ölberg«) et de mettre en évidence la dimension spirituelle de Beethoven: »la loi morale en nous et le ciel étoilé au-dessus de nous – Kant!!!«; et elle témoigne du fait que les convictions incarnées dans la musique de Beethoven sont en adéquation avec celles qui constituent la civilisation européenne … au moins formellement …

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Elisabeth Brisson, Rezension von/compte rendu de: William Kinderman, Malcolm Miller (ed.), Beethoven the European. Transcultural Contexts of Performance, Interpretation and Reception, Turnhout (Brepols) 2023, 300 p., 32 b/w fig. (Speculum musicae, 48), ISBN 978-2-503-60290-5, EUR 110.00., in: Francia-Recensio 2023/3, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.3.99989