Ce gros livre n’est pas, comme titre et sous-titre pourraient le laisser entendre, une biographie de Pierre de Zittau, moine, puis abbé du monastère cistercien de Königsaal ou Zbraslav près de Prague, diplomate au service du roi Jean de Bohême, comte de Luxembourg, et surtout auteur de la chronique dite de Königsaal. La dissertation doctorale de l’auteure est plutôt une analyse détaillée de cette chronique; elle tient compte tout aussi bien de l’apport du premier chroniqueur, Otton de Thuringe, prédécesseur de Pierre tant comme auteur que comme abbé, et elle porte tant sur le gouvernement du roi de Bohême Wenceslas II et de ses enfants de la dynastie des Přemyslides que sur celui de Jean de Luxembourg, mari d’Élisabeth, fille cadette de Wenceslas II, dont Pierre de Zittau était particulièrement proche.
Bĕla Marani-Moravová montre d’ailleurs à travers plusieurs exemples comment cette connivence avec Élisabeth biaise son jugement du gouvernement de Jean. Soumise en février 2015 à l’université de Berne, imprimée en 2019, la dissertation ne mentionne que dans l’introduction la nouvelle traduction en allemand de la chronique par Stefan Albrecht, parue en 2013, et le volume de commentaires édité par le même en 20141. Ne manque par contre dans la bibliographie pratiquement aucun livre ni article paru auparavant concernant le sujet de loin ou de près.
Après une introduction qui fournit un état des recherches sur la chronique et un survol de l’histoire de la Bohême aux XIIIe–XIVe siècles, mais qui oublie de renseigner sur les manuscrits conservés, l’auteure présente le monastère de Königsaal (§ 2), puis le chroniqueur Pierre de Zittau, né en Bohême germanophone, son choix monastique, sa formation, son itinéraire et son rôle politique (§ 3), avant de se concentrer sur ses motivations, ses sources, ses autres œuvres, son don d’observation (§ 4). Il en ressort que l’approche de Pierre se différencie nettement de celle du premier chroniqueur Otton.
Celui-ci s’était mis à écrire une chronique du monastère, dont la fondation en 1292 était insérée dans la biographie de Wenceslas II, jusqu’en 1316. Les 51 premiers chapitres qui lui sont dus sont structurés par unités thématiques, allant de 1252 à 1316. En font partie des esquisses biographiques des rois et empereurs de l’époque. Pierre, en revanche, compose une chronique de la Bohême, voire de l’Empire et de l’Europe occidentale, n’hésitant pas à ajouter aux chapitres écrits par son prédécesseur des passages en vers, de façon à constituer un des plus importants prosimètres rédigés au Moyen Âge. Aux chapitres 5 à 8 l’auteure analyse l’attitude différenciée de Pierre (et occasionnellement d’Otton) face aux rois de Bohême, aux rois et empereurs germaniques, aux reines, puis à la noblesse, à la bourgeoisie, à l’Église (papes, archevêques Pierre de Mayence et Baudouin de Trèves, évêques de Prague et d’Olomouc).
La conclusion résume l’essentiel des résultats de la recherche en soulignant les différences entre les deux auteurs, l’apport des documents insérés dans la chronique et la critique des sources propre à Pierre, son style qui attribue souvent des discours fictifs aux protagonistes de l’histoire, son attitude finalement moralisatrice. Alors qu’Otton visait à soigner la mémoire du roi-fondateur, Pierre élargit non seulement le cadre de son récit, mais en fait un miroir des princes en présentant Wenceslas II de Bohême et l’empereur Henri VII, le père de Jean de Luxembourg, comme rois idéaux: justes, humbles, pacificateurs, vertueux, en un mot: saints. Il fustige par ailleurs les tensions entre communautés linguistiques (allemande et tchèque) en Bohême ainsi que les ambitions malsaines et la rapacité des nobles responsables d’innombrables conflits à l’époque du roi Jean, y compris de la désagrégation du couple royal. La déception du chroniqueur par rapport au roi Jean dont l’abbé de Königsaal avait été un des promoteurs en 1310, est d’autant plus grande. La bourgeoisie, en revanche, ne joue pas de rôle de premier plan dans la chronique et Pierre critique sa dépravation des mœurs qu’il illustre entre autres à l’exemple de ses innovations vestimentaires.
Cette conclusion de dix pages, traduite aussi en anglais et en tchèque, est d’autant plus bienvenue que le corps de l’ouvrage souffre de digressions parfois superflues où l’auteure cherche d’une part à établir la vérité historique au lieu de s’en tenir à l’analyse de la perception des chroniqueurs, et d’autre part expose en long et en large la présentation des mêmes faits par des chroniques postérieures. Le livre aurait certainement gagné à être élagué, à se concentrer davantage sur la critique de la chronique elle-même qui constitue tant pour l’histoire de la Bohême que pour celle de l’Europe occidentale une source essentielle pour la fin du XIIIe et le premier tiers du XIVe siècle. Les historiens l’ont d’ailleurs reconnue comme telle depuis longtemps et l’analyse critique de la manière de procéder des deux chroniqueurs, et essentiellement du plus détaillé d’entre eux, fournie par Bĕla Marani-Moravová ne peut par conséquent qu’être saluée comme répondant à un besoin ressenti depuis longtemps2.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Michel Pauly, Rezension von/compte rendu de: Běla Marani-Moravová, Peter von Zittau. Abt, Diplomat und Chronist der Luxemburger, Ostfildern (Jan Thorbecke Verlag) 2019, 629 S., zahlr. Abb. (Vorträge und Forschungen. Sonderband, 60), ISBN 978-3-7995-6770-1, EUR 79,00., in: Francia-Recensio 2019/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68316