Jean de Wavrin est à l’honneur: après un colloque à son sujet1, voici une traduction d’une partie de sa chronique, »Anchiennes cronicques d’Angleterre« selon Mlle Dupont, qui en a publié des extraits (Paris 1858–1863, 3 vol.), »Recueil des croniques et anchiennes istories de la Grant Bretaigne, a present nomme Engleterre«, selon William Hardy et Edward L. C. P. Hardy, qui ont publié le texte intégral (Londres 1864–1891, 5 vol.). Le texte lui-même retenu ici avait aussi reçu une édition de la part de l’historien roumain Nicolae Iorga, »La Campagne des croisés sur le Danube (1445). Extrait des ›Anciennes chroniques d’Angleterre‹« (Paris 1927).
Dans un préambule, Frantz Olivié, directeur des éditions Anacharsis, rappelle un des grands événements de l’histoire des Balkans à la fin du Moyen Âge: la bataille de Nicopolis en 1396, où le futur duc de Bourgogne Jean sans Peur fut fait prisonnier; il rappelle aussi l’ambassade de Théodore Karystinos en 1442, qui est à l’origine de l’envoi d’une flotte par le duc Philippe le Bon, fils de Jean sans Peur, en secours à Constantinople, et l’échec encore, à Varna en 1444 de cette croisière sur le Danube.
Joana Barreto, dans une dense introduction (p. 13–40) où elle s’appuie sur une bonne bibliographie et l’avis d’experts, présente l’auteur, Jean (bizarrement orthographié Jehan selon la mode un peu curieuse qui court depuis plusieurs années; si l’on était logique jusqu’au bout, il faudrait écrire Jehan de Waurin – et Waleran de Wavrin pour le neveu; et inversement, par exemple, Phelippes de Commynes …) de Wavrin, puis rappelle – ce qui est indispensable – la chronologie de la »croisade de Varna«, dont la campagne sur le Danube est l’épilogue. Elle présente ensuite les principaux acteurs: Ladislas Jagellon, roi de Pologne et de Hongrie, Jean Hunyadi, régent de Hongrie, Vlad II, voïvode de Valachie, le sultan Mourad II, et relève que Jean de Wavrin tend à en passer certains sous silence, tels le despote serbe Georges Brankovic, les Génois et les Vénitiens.
Sans doute, son neveu Waleran de Wavrin, chef de la flotte, a été son principal informateur, mais Jean de Wavrin a utilisé d’autres sources, correspondances, rapports, ce qui dénote un travail d’historien. Écrivant pour la cour, il loue les valeurs qui y sont partagées, notamment l’honneur chevaleresque et ceux qui les incarnent à ses yeux, tel Geoffroy de Thoisy au siège de Rhodes. Il fait des références à l’Antiquité, selon les lieux traversés ou visités: Troie, les Amazones à propos de la Scythie (la Crimée). Grâce aux témoignages directs qu’il a collectés, il peut donner une image assez bonne de la guerre, notamment la recherche d’informations sûres au milieu des rumeurs qui circulent, délibérément ou non. Un point intéressant chez Jean de Wavrin est la limite assez floue entre les différentes entités, chrétienne (Latins, c’est-à-dire catholiques romains, orthodoxes »schismatiques«) et musulmane (ottomane), celle-ci étant moins bien saisie.
Pour assurer une meilleure lecture, Joana Barreto a divisé le texte en deux parties: »La croisade« (13 chapitres) et »Le Danube« (5 chapitres), la campagne elle-même de Waleran de Wavrin sur le fleuve, remonté jusqu’à Nicopolis, où est rencontré un survivant de la bataille. La traduction est agréable, la lecture est aidée par des cartes claires et lisibles. Cependant, l’historien se pose la question du rendu des noms.
Comme cela se fait ailleurs (mauvaise tradition qui s’installe!), ont été conservées les formes du texte du XVe siècle: Pierre (curieusement traduit, car on peut trouver Pietre) Vast ou Vaas(que) pour Vázquez, Brillago pour Braila, bellarbay pour beylerbey (soubachi a conservé la même forme), Karagabé pour Karaca (à la turque) ou Karadja (à la française) bey, Chailly le Basac pour Candarli (à la turque) ou Djandarli Khalil Pacha, Mahometbay pour Mehmed [II] … Tout ceci gêne la compréhension du texte: s’agissant d’une traduction, on traduit tout (et les formes anciennes peuvent être indiquées en note pour les curieux).
Puisque je suis dans les détails: le franciscain Barthélemy »de Gênes« est en fait »de Giano«; les différents types de navires n’ont pas été bien compris (p. 17, 64), malgré la référence à mon livre »La politique navale des ducs de Bourgogne«, et le document des Archives départementales du Nord mentionné en note 25, p. 28, qui est le rapport financier de Waleran de Wavrin sur sa campagne navale, est en cours de publication dans mes »Documents relatifs à la politique navale des ducs de Bourgogne«.
Il ne s’agit là que de remarques de détail. Soyons reconnaissants à Joana Barreto de nous présenter ce texte, certes médiéval, mais si actuel par son éclairage sur l’histoire du Sud-Est européen, terrain de rencontre entre Latins et Ottomans.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Jean de Wavrin, La Croisade sur le Danube. Traduit du moyen français et présenté par Joana Barreto, Toulouse (Anarchasis) 2019, 176 p. (Famagouste), ISBN 979-10-92011-75-3, EUR 18,00., in: Francia-Recensio 2020/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.1.71492