RIHA Journal 0297 | 30 April 2023

Aristide Maillol aux États-Unis

De l’Albright Art Gallery à la National Gallery of Art, le chemin de la reconnaissance

Antoinette Le Normand-Romain

Abstract (French)
Aristide Maillol est le sculpteur français du xxe siècle le mieux représenté dans les collections américaines. En 1925–1926, une exposition organisée par A. Conger Goodyear fait circuler dans onze villes ses œuvres, qui rejoignent dès lors les musées : Albright Art Gallery, Museum of Modern Art, The Metropolitan Museum of Art… Le présent article retrace le fil de la réception de l’artiste outre-Atlantique et, à partir de l’étude des correspondances, met en lumière le rôle de grandes figures des musées, tels Alfred Barr, Andrew Carnduff Ritchie et John Rewald, notamment par le biais d’expositions, mais aussi des marchands, Joseph Brummer en particulier, qui ont contribué à développer la présence américaine du sculpteur. Ces sources révèlent des négociations parfois difficiles. Elles témoignent aussi du rôle actif, après la mort de Maillol, de Dina Vierny, son dernier modèle puis son ayant droit, qui, en s’appuyant sur des marchands, dont Paul Rosenberg, Klaus Perls et Otto Gerson, développe significativement sa présence dans les collections américaines.

Abstract (English)
Aristide Maillol is the 20th-century French sculptor best represented in American collections. In 1925–1926, his works were shown in museums in eleven cities as part of an exhibition organized by A. Conger Goodyear: Albright Art Gallery, Museum of Modern Art, The Metropolitan Museum of Art… This article traces the artist’s reception on the other side of the Atlantic and, based on a study of correspondence, highlights the role of major museum figures such as Alfred Barr, Andrew Carnduff Ritchie, and John Rewald, particularly through exhibitions, but also of dealers, especially Joseph Brummer, who helped to develop the sculptor’s American presence. These sources reveal the sometimes difficult negotiations. They also attest to the active role played by Dina Vierny, his last model and then his successor, after Maillol’s death. With the support of dealers, including Paul Rosenberg, Klaus Perls, and Otto Gerson, she significantly expanded his presence in American collections.

[1] « Je suis sûr qu’en Amérique où l’on aime le grand vous serez reçu à bras ouverts1 », écrivait Aristide Maillol (1861–1944) en mai 1940 au sculpteur autrichien Bernard Reder (1897–1963), qui venait d’exposer avec succès à Paris, à la galerie Wildenstein, et envisageait de partir aux États-Unis. « Vous pouvez vous recommander de moi chez tous les directeurs de Musée de Newyork [sic] et d’autres villes qui sont tous mes amis et tous les amateurs d’art qui m’ont acheté des sculptures dans ce pays2. » Comme en atteste le Répertoire de sculpture française3 dirigé par Laure de Margerie, et comme l’a bien montré Véronique Wiesinger4, Maillol a en effet été apprécié et collectionné relativement tôt aux États-Unis : il est le sculpteur français le mieux représenté dans les collections américaines pour le xxe siècle, immédiatement suivi par Charles Despiau (1874–1946). La préparation de l’exposition « Aristide Maillol (1861–1944). La quête de l’harmonie » au musée d’Orsay, à Paris5, en collaboration avec Ophélie Ferlier-Bouat, nous ayant conduite à explorer des fonds peu exploités jusqu’à présent, il nous a semblé qu’il valait la peine de mesurer plus précisément la réception qui attendait Maillol aux États-Unis à partir des années 1920. Il était alors un artiste reconnu en Europe, en France, bien sûr, depuis l’exposition de Méditerranée au Salon d’automne de 1905, mais aussi en Allemagne, grâce au très fort soutien du comte Harry Kessler à partir de 1904, en Belgique et même en Russie, où il bénéficia de la commande de quatre figures destinées à compléter L’Histoire de Psyché de Maurice Denis (1870–1943) pour le salon de musique de l’hôtel Morozov à Moscou (1909–1913).

[2] L’accueil que reçut Maillol aux États-Unis est dû à l’admiration que lui portèrent de fortes personnalités engagées dans le monde des musées et de l’histoire de l’art, comme A. Conger Goodyear, Alfred Barr, Andrew Carnduff Ritchie ou John Rewald, et des marchands, Joseph Brummer en particulier. Il y était cependant peu sensible. À cette date, il vendait en effet ses œuvres en France sans difficulté et son tempérament de « paysan étroit6 », ainsi que le définit le comte Kessler, avait pour effet une grande prudence vis-à-vis d’un marché éloigné comme le marché américain. Les correspondances conservées, échangées entre les acteurs de l’histoire que retrace cet article, montrent ainsi combien les négociations avec lui étaient difficiles. L’artiste disparu, c’est Dina Vierny (1919–2009), son dernier modèle, devenue son ayant droit après la mort sans descendance de son fils Lucien en1972, qui prit le relais et, avec l’aide de plusieurs galeristes, continua à développer sa présence aux États-Unis.

Premiers contacts, premiers achats

[3] À New York, le Metropolitan Museum of Art (Met) acquit le grand Torse de l’Action enchaînée dès 1929. Au même moment, Goodyear fit don au Museum of Modern Art (MoMA) d’une fonte du Torse de l’Île-de-France7 pour répondre à l’intention d’Alfred Barr, le directeur, de rassembler des œuvres des principaux artistes vivants, afin de faire découvrir au public new-yorkais ce qui se faisait en Europe et, inversement, au public étranger les réalisations américaines8 : l’œuvre est ainsi la première sculpture qui entra dans l’institution au moment de son inauguration9. Il s’agissait dans les deux cas de torses, forme à laquelle, conduit par une volonté de simplification poussée à l’extrême, Maillol donnait alors son autonomie10. Le Torse féminin dit « inachevé » (Fig. 1), exposé par Goodyear en 1925, leur succéda. Plusieurs exemplaires de chacune de ces œuvres entrèrent dans les collections américaines du vivant de l’artiste, ce qui peut laisser penser qu’elles correspondaient, mieux que les figures entières dont elles étaient issues, au goût contemporain.

1 Aristide Maillol, Torse féminin, avant 1925, plâtre peint, 87,63 × 42,54 × 27,94 cm. Albright-Knox Art Gallery, Buffalo, don de A. Conger Goodyear, 1929, 1929.40 (courtesy of the Albright-Knox Art Gallery, Buffalo)

[4] Huit œuvres de Maillol étaient présentes en 1913 à l’exposition dite Armory Show11, porte d’entrée du modernisme aux États-Unis : deux sculptures – un nu féminin et un grand relief en terre cuite, Femme accroupie, estampé sur le bois, qui avait été réalisé pour Gustave Fayet entre 1907 et 1911 – et six dessins, le tout envoyé par la galerie Druet, un important prêteur. Les œuvres semblent avoir été montrées aux trois étapes de l’exposition, New York, Chicago et Boston, mais, contrairementà celles de Joseph Bernard12, de cinq ans plus jeune que Maillol, elles soulevèrent si peu d’intérêt que, dans son article « Sculpture at the Exhibition », W. Murrell Fisher ne consacre qu’une ligne à Maillol. En outre, il se trompe sur la figure qu’il décrit comme un « nu masculin […] impressionnant par la seule interprétation du poids et de la masse de la figure13 », alors qu’au catalogue figure une « Femme debout, terre cuite14 » qui, une vue prise à l’étape de Chicago en apporte la preuve, était la Baigneuse aux bras relevés15 (Fig. 2).

2 Vue de l’Armory Show avec, à droite, la Baigneuse aux bras relevés d’Aristide Maillol et la Porteuse d’eau de Joseph Bernard, photographe inconnu, 1913 (photo : Art Institute of Chicago, Chicago / Wikimedia)

Éditée d’abord en terre cuite, celle-ci eut du succès auprès de collectionneurs allemands et suisses tels que Julius Stern16 et Arthur et Hedy Hahnloser, mais pas aux États-Unis. C’est pourtant une figure particulièrement intéressante par la simplification des volumes, à la limite d’une abstraction géométrique, dont la perfection la rend presque irritante. Un seul dessin trouva acquéreur, en la personne de Robert Hartshorne17 : il s’agit très certainement de la belle étude pour L’Action enchaînée (ou pour L’Île-de-France), au fusain, donnée par les Hartshorne au Met dès 192118.

[5] Sculpteur et grand admirateur d’Auguste Rodin, Lorado Taft (1860–1936) reproduisit quatre œuvres de Maillol dans Modern Tendencies in Sculpture19, la publication des « Scammon Lectures » données à l’Art Institutede Chicago. Mais il semble que les Américains ne découvrirent vraiment l’artiste qu’à partir du début des années 1920. Plutôt que le sculpteur lui-même, ils avaient pour interlocuteurs, en France, les galeries Vollard et Druet, la première étant propriétaire des droits de reproduction d’un certain nombre de statuettes20, la seconde, outre le prêt d’œuvres par exemple à l’Armory Show, mettant surtout des photographies à disposition pour publication. Maillol avait été échaudé par la mauvaise qualité des bronzes édités par Ambroise Vollard, réalisés par des fondeurs dont l’identité n’est pas toujours connue. Il ne semble pas avoir signé de contrat d’édition avec Eugène Druet, mais, dès avant 1914, celui-ci joua de plus en plus souvent le rôle d’intermédiaire vis-à-vis des amateurs. Si la première exposition personnelle de Maillol eut lieu chez Vollard en 1902, c’est chez Druet que furent montrées par exemple en 1910 Flore et Pomone, les deux premières des quatre figures commandées par Morozov, fondues par l’excellent Florentin Godard.

[6] Des photographies furent ainsi publiées, à de nombreuses reprises, dans The Dial21 et dans The Arts22. Dans International Studio parut en octobre 1923 un long article intitulé « Maillol, Giant of the Sculpture » dû à Sheldon Cheney23. L’auteur en reprit les principaux éléments dans A Primer of Modern Art, qui fit l’objet de nombreuses éditions à partir de 192424. Grâce à Marius de Zayas (1880–1961), peintre d’origine mexicaine, caricaturiste, marchand à ses heures et proche des milieux d’avant-garde, des dessins et des sculptures furent présentés en 1924 et en 1925 au Whitney Studio Club. Créé en 1914 à New York par la richissime Gertrude Vanderbilt Whitney (1875–1942), elle-même sculptrice, et dirigé par Juliana R. Force, celui-ci avait principalement pour but de faire connaître la nouvelle génération d’artistes américains25. Lors de la première exposition, Laurie Eglington, l’éditrice de Art News, s’empressa de faire savoir à Maillol :

Monsieur de Zayas […] a tenu une exposition chez les galleries [sic] de Mme Whitney. Ce n’était pas mal du tout. Il y avait là deux grandes choses que Mme Whitney vous avait acheté[es] ; une douzaine de terres cuites et de bronzes et surtout des dessins. Seulement j’aurais voulu y voir une pièce d’une vraie importance, comme la Pomone ou La Nuit. On vous aura envoyé les numéros des revues nombreuses, qui consacrent des articles à vous, le Dial, le International Studio, The Arts, Vanity Fair, etc. Moi, je n’ai pas écrit encore. Je ne veux pas écrire n’importe quoi. Ça viendra. / La petite [sic] torse que vous m’avez donnée a été beaucoup appréciée de tout le monde. Je l’ai fait monter et je l’ai exposée pendant un mois. Tout le monde a voulu l’acheter mais je ne suis pas encore si pauvre que ça26.

[7] The Dial reproduisit en février 1923 deux torses qui correspondent probablement aux « deux grandes choses » acquises par Whitney, le Torse de l’Île-de-France, en bronze27, et le torse féminin dit Jeunesse, en marbre, aujourd’hui au musée d’Orsay28, puis, en avril 1924, trois petits bronzes « récemment importés29 » (Léda, Baigneuse se coiffant [petit modèle] et Nu fémininassis sur ses talons). À l’exception du Torse de l’Île-de-France, les œuvres étaient destinées à la vente et c’est là sans doute que Scofield Thayer, fondateur et éditeur de The Dial, acquit en 1924 une Femme au crabe en bronze. Il la légua au Met en 1982 avec le petit Nu féminin en terre cuite blanche (matériau de prédilection de l’artiste, souvent confondu avec du plâtre) qui avait appartenu à Hugo von Hofmannsthal.

[8] Au même moment, deux petits bronzes, Femme accroupie (Fig. 3) et Femme debout, entraient au Detroit Institute of Art30.Le Whitney Studio Club avait en projet une exposition plus importante mais, en octobre 1924, Juliana R. Force fit savoir à l’Albright Art Gallery à Buffalo (qui prit en 1962 le nom d’Albright-Knox Art Gallery) la décision « de repousser le projet à l’hiver prochain [1925] afin de pouvoir disposer de plus de choses qu’il ne serait possible d’en avoir cette année31 ». Le projet, qui prévoyait un itinéraire de dix villes, ne se réalisa pas, mais c’est là, sans doute, qu’il faut chercher l’origine de l’exposition itinérante organisée par Goodyear en 1925–1926. Pour l’étape new-yorkaise, celui-ci donna toutefois la préférence à Brummer qui tenait à cet « honneur », convaincu que sa galerie, très bien située, dans la 57e Rue, était la meilleure pour exposer la sculpture à New York32.

3 Aristide Maillol, Femme accroupie, vers 1896–1900, bronze, 21 × 8,4 × 10,2 cm. Detroit Institute of Arts, Detroit, acquis en 1924, 24.73 (courtesy Detroit Institute of Arts)

A. Conger Goodyear et l’exposition de 1925

[9] A. Conger Goodyear (1877–1964), qui avait pris la suite de son père à la tête des affaires familiales (qui s’étendaient entre autres à l’industrie du bois, au chemin de fer et au cinéma) à Buffalo, s’intéressait vivement à l’art depuis sa visite de l’Armory Show en 1913. Membre du comité d’acquisition de l’Albright Art Gallery33, il prêta une attention particulière à la collection de sculptures qui, jusque-là, consistait surtout en moulages d’après l’antique et s’enrichit alors d’œuvres importantes (L’Âge d’airain d’Auguste Rodin en 1925 et son Ève en 1926 ; la grande Vierge à l’offrande d’Antoine Bourdelle en 1926 ; Senegalese Woman de Jacob Epstein et Mlle Pogany II de Constantin Brâncuși en 1927). Son idée était de profiter des expositions pour développer la politique d’acquisition : se succédèrent ainsi des manifestations consacrées à Ivan Meštrović (1883–1962) et à Maillol en 1925, à Bourdelle (1861–1929) en 1926, puis l’« International Exhibition of Modern Art », organisée en 1927 par Katherine Dreier et Marcel Duchamp pour la Société anonyme et présentée d’abord à Brooklyn.

[10] Goodyear avait pour complice Anna Glenny Dunbar (1888–1980), elle-même sculptrice, qui était brièvement passée par l’atelier de Bourdelle et fut nommée conservatrice honoraire des sculptures de l’Albright Art Gallery en 1925. Goodyear et Dunbar voulurent consacrer leur première exposition à Bourdelle34. Ils se rendirent donc en France, au début de l’année 1925, pour le rencontrer. Toutefois, pendant leur séjour, Marius de Zayas et le sculpteur Cecil Howard (1888–1956) – qui s’était installé à Paris en 1905 et admirait Maillol, à qui il rendait souvent visite – les entraînèrent chez le sculpteur à Marly-le-Roi. Goodyear a laissé un récit très vivant de cette visite : Maillol était seul dans son atelier, au contraire de Bourdelle, qu’ils avaient trouvé, quelques jours plus tôt, entouré de nombreux élèves et assistants35. Il travaillait à la ciselure d’un exemplaire en bronze du Torse de l’Île-de-France36.

Le torse était magnifique, serein et fier. Maillol n’avait pas aimé la patine du fondeur et la reprenait au ciseau pour obtenir une merveilleuse surface dorée. Je demandais s’il était à vendre. Il l’était. Je l’achetai. Quand le Museum of Modern Art ouvrit quatre ans plus tard, j’en fis don, comme première œuvre de la collection permanente. Il est aujourd’hui au Metropolitan Museum. / Lorsque nous commençâmes à parler d’une exposition de ses œuvres en Amérique, Maillol ne se montra pas intéressé et nous allâmes vers la maison pour regarder ses dessins. J’en achetai peut-être vingt pour la somme ridicule de quinze dollars pièce. J’essayai d’obtenir cinq ou six des délicieuses statuettes façon Tanagra que le Maître cuit lui-même. Il accepta finalement de m’en céder deux, quoique l’idée lui déplût visiblement37.

[11] Mais ce n’était pas suffisant pour l’exposition. Dunbar sauva le projet en proposant de faire remettre en état les moules qui étaient abîmés afin que l’on pût tirer des épreuves en plâtre.

Ce fut aussi simple que cela [poursuit Goodyear], pas de contrat mais notre seule parole. Maillol était ainsi, un homme très simple ne se souciant pas de grand-chose en dehors de son atelier. […] Rudier tira cinq grands plâtres et cinq petits pour lesquels je payai moins de 400 000 dollars. S’y ajoutèrent le grand torse de bronze et les deux terres cuites [Jeune fille allongée ou Étude pour le monument à Cézanne38 et Torse de femme39], quelques-uns des dessins que j’avais achetés et quatre ou cinq bronzes acquis auprès de de Zayas40.

Une fois déballés à Buffalo, les plâtres surprirent par leur blancheur.

La sculpture apparaît sous un jour défavorable quand elle est en plâtre et quand le plâtre est neuf, l’effet est catastrophique. Anna eut encore une idée brillante. Pourquoi ne pas les colorer ? Certains le furent en vert, d’autres en noir ou en jaune, ou encore en bleu. Nous n’avions évidemment pas le droit de faire cela ; Maillol pourrait être furieux. Mais il fallait faire quelque chose et avant qu’il soit mis au courant de notre vandalisme, nous espérions que le circuit des expositions serait achevé41.

[12] Le 2 juin 1925, Goodyear confirma à Maillol les termes de leur accord, en lui envoyant un acompte de 10 000 francs pour le Torse de l’Île-de-France en bronze42. « Permettez-moi de vous dire que je me trouve particulièrement favorisé d’avoir la possibilité de faire figurer dans cette galerie à laquelle je m’intéresse tout particulièrement, une œuvre qui est un véritable chef-d’œuvre43. » Mais Maillol refusait de travailler dans la hâte, comme en témoignent les courriers conservés à Buffalo, échangés entre lui-même, Goodyear et son agent à Paris, Guillaume Lerolle44. « Quoique je le connaisse depuis longtemps et qu’il soit un grand ami de mon père [le peintre Henri Lerolle], Maillol n’est pas facile à manier », note Lerolle le 15 septembre 192545. Dunbar lui fait écho dans le catalogue de 1925 : « Pour lui, une vente n’est jamais un but mais une concession46. » Goodyear dut donc se contenter de figures, presque toutes partielles, et en plâtre, ce qui donnait une impression d’inachevé. Le 8 octobre, la liste fut encore remise en question47, mais les expositions « Sculptures and Drawings by Aristide Maillol » et « The Bourdelle Exhibition of Sculpture » ouvrirent toutes deux en novembre 1925, la première à Buffalo (15 novembre – 14 décembre), la seconde à New York (7–23 novembre), où « Maillol » lui succéda de peu, ce que souligna la critique48. L’exposition consacrée à Bourdelle, la plus importante des deux, avec 53 œuvres, fut ensuite présentée à Pittsburgh, Saint-Louis, Chicago et Buffalo ; celle sur Maillol (38 numéros dont 18 sculptures) fut montrée dans dix autres villes américaines (Fig. 4), ainsi qu’à Toronto, circulant jusqu’en 192749.

4 Exposition « Maillol », Worcester, Worcester Art Museum, 13–27 mars 1927. De gauche à droite : le Torse de l’Île-de-France (bronze), le Torse du Printemps, Le Désir, L’Été sans bras et le Torse « inachevé » (plâtres patinés). Fondation Dina-Vierny – musée Maillol, Paris (courtesy fondation Dina-Vierny – musée Maillol)

Le catalogue comprenait un texte du peintre britannique Augustus John, qui s’y était engagé en ces termes : « Cher Conger, […] je vais écrire une courte préface pour l’exposition Maillol. Vous avez raison, il est probablement la figure la plus importante de la sculpture contemporaine et cela fait longtemps que je l’admire. Vous avez bien travaillé en montant cette exposition avec lui aux États-Unis50. » Venait ensuite un texte de Dunbar qui fut également publié dans Arts Journal (novembre 1925) sous le titre « Aristide Maillol and His Art ». Dans les deux cas, le Torse de l’Île-de-France, dont The Dial souligna qu’il avait été « travaillé par l’artiste de façon à faire vibrer chaque centimètre de la surface51 », figurait en tête des illustrations, au nombre d’une douzaine dans le catalogue.

[13] L’exposition était sans doute un peu différente d’une ville à l’autre. Ainsi, à Denver (où une œuvre fut brisée52), elle avait été complétée par des dessins et neuf petits bronzes fournis par la galerie Weyhe53. Elle remporta un vif succès dont témoigne l’Album Goodyear : s’ouvrant sur deux photographies de Maillol sans doute prises au moment de la visite de Goodyear, celui-ci rassemble des courriers liés àl’organisation et à la circulation de l’exposition ainsi que des articles de presse54 (Fig. 5 et 6).

Album Goodyear. Page de gauche (p. 2) : deux portraits anonymes de Maillol, tenant à gauche deux petites sculptures dont une Étude pour le Monument à Cézanne, en plâtre (cat. 3), et posant à droite devant le modèle de La Douleur destinée au Monument aux Morts de Céret, vers 1925 ? Page de droite (p. 3) : lettre d’Aristide Maillol à A. Conger Goodyear, 2 juin 1925. Albright-Knox Art Gallery, Buffalo (courtesy Albright-Knox Art Gallery, Buffalo)

6 « Some Recent Sculpture by Aristide Maillol », in : Vanity Fair [1925], 64, coupure de presse issue de l’Album Goodyear, p. 23. Albright-Knox Art Gallery, Buffalo (courtesy Albright-Knox Art Gallery, Buffalo)

[14] L’exposition ne coûta rien à Goodyear, car il se remboursait des dépenses engagées grâce aux commissions touchées sur les œuvres vendues, et il n’y eut pas de retour à financer : faisant fi de la volonté de l’artiste55, Goodyear considérait les œuvres comme siennes. À New York, elles furent d’ailleurs présentées en tant que telles : Henry McBride consacra ainsi quelques lignes enthousiastes à la « superbe collection de sculptures de Maillol appartenant à M. A. C. Goodyear, de Buffalo56 » tandis qu’Art News titra « Anson C. Goodyear Shows His Superb Collection of Maillols in New York: Fine Collection Shown at Brummer Gallery is Private Property of Buffalo Collector and Not for Sale57 ». La plupart des œuvres rejoignirent l’Albright Art Gallery ou le MoMA, les trois plâtres du Désir, de L’Été et du Torse du Printemps étant donnés à cette dernière institution au nom de Maillol58, ce qui correspondait à la vérité, même si l’artiste avait été mis devant le fait accompli. Ils provenaient, était-il précisé, des moules réparés par celui-ci en 1925, ce qui a pu donner à croire qu’il s’agissait des plâtres originaux alors qu’il s’agissait en réalité d’épreuves récentes.

[15] Ces plâtres ont conservé les patines colorées appliquées à leur arrivée aux États-Unis, bleu-vert pour Le Printemps et L’Été, ocre pour Le Désir, imitant le bronze pour le Torse « inachevé » et la figure drapée ou encore la Tête de femme donnée par Maurice Wertheim au Fogg Art Museum, à Cambridge, en 195159. Tels quels, ils plurent au public : « Beaucoup jugent très plaisante la forte coloration des sculptures de Maillol60 », confirme George W. Eggers, directeur du Worcester Art Museum, dans l’article « Color in Sculpture », qu’il publia à cette occasion dans le bulletin du musée.

[16] Ayant pour but de faire connaître Maillol, Goodyear proposait de servir d’intermédiaire entre l’artiste et les musées ou collectionneurs qui souhaitaient acquérir ses œuvres. En janvier 1926, il avait commandé à Maillol des petites terres cuites en plusieurs exemplaires61, ce que fit également Brummer, dont la galerie devait accueillir la deuxième étape de l’exposition62. Elles avaient en effet du succès : « le public américain », constata Judith Cladel, « va enrichir Maillol en s’éprenant de ce que M. Augustus John, préfacier du catalogue, nomme justement “la sereine et statique beauté de son œuvre”63. » La difficulté était de renouveler le stock, car Maillol traversait alors une phase pendant laquelle il se sentait incapable de produire. En janvier 1926, Lerolle se rendit donc à Banyuls où l’artiste passait l’hiver pour essayer d’obtenir quelques œuvres, sans grand succès, mais son rapide voyage – une journée entre deux nuits de train – nous vaut la description haute en couleurs d’un Maillol s’y entendant fort bien à donner le change. Il n’avait pas pu, dit-il, refuser de faire le buste d’un ami – George-Daniel de Monfreid64 – qui lui avait autrefois prêté de l’argent. Mais le buste « l’avait fait suer et besogner » [sweat and labour] pendant plus de trois semaines, le laissant épuisé au point qu’il ne pourrait certainement pas se remettre au travail avant au moins un an. « Il ne fait rien d’autre », poursuit Lerolle, « que de se quereller avec la femme qu’il a été assez stupide pour épouser quand il était tout jeune65 » et lorsqu’il lui demanda à quelle date les terres cuites commandées seraient livrées, Maillol répondit que les épreuves ne pourraient être réalisées qu’à Marly où il retournerait en mai, et à la condition qu’il ne soit pas malade ou fatigué et qu’il puisse trouver un mouleur. Il les enverrait au mieux en septembre ou octobre : « Pourquoi de l’argent ? Je ne sais pas à quoi cela sert et je n’en ai pas besoin66. » Il montra à Lerolle un placard où se trouvaient quinze ou vingt chèques : « J’oublie de les envoyer à la banque. Quand je sens que je ne peux pas travailler, j’aurais beau m’y efforcer, cela ne donnerait rien de bon et même si c’était bon, cela ne sert à rien d’essayer car quand je sens que je ne peux pas travailler, je ne peux pas67. » Quelques mois plus tard, Kessler, de retour de Marly-le-Roi, le confirme : « J’ai trouvé Maillol de mauvaise humeur. Il dit qu’il n’a plus fait aucune sculpture depuis six mois, qu’il est comme handicapé. Il ne sait pas ce qu’il a68. » Maillol accusait en effet le buste de Monfreid de l’avoir « tué69 ».

[17] Dès son retour à Paris, Lerolle se tourna vers Druet, le principal marchand de Maillol.

Ils ont en ce moment cinq terres cuites et un torse en bronze, une jeune femme avec tête mais sans bras [Jeunesse ?]. J’ai demandé les prix. Les terres cuites, qui ne sont pas aussi bonnes à mon avis que la “femme drapée70 ”, valent entre 8 000 et 10 000 francs et le torse 80 000. Le directeur de la galerie m’a dit qu’il avait essayé d’obtenir de Maillol qu’il lui vende quelque chose, n’importe quoi mais Maillol ne travaille pas et pourtant tout le monde s’efforce de le convaincre71.

Le lendemain, Lerolle poursuit, toujours à l’intention de Goodyear :

Il est si sûr de vendre tout ce que Maillol lui donne qu’il a refusé de me laisser une option de quinze jours sur les terres cuites dont je lui ai demandé des photographies pour avoir votre avis. Druet fait un profit important sur la vente de ces terres cuites. Il a fait le succès de Maillol et Maillol lui est très reconnaissant et pourtant il ne peut obtenir davantage72.

En novembre 1926, Howard conseilla d’ailleurs à Goodyear de reprendre des chèques qu’il avait donnés à Maillol « il y a longtemps, montant à six mille francs, et de les utiliser à l’achat de terres cuites ou autres petites œuvres car il n’y a rien d’autre à espérer actuellement (ainsi que nous l’avons constaté)73 ».

[18] En ce qui concernait les œuvres de plus grandes dimensions, Goodyear proposait à l’achat le Torse féminin « inachevé » et Le Désir. Mais Le Printemps et L’Été, même incomplets, avaient bien davantage de succès. Ainsi le Denver Art Museum espérait-il convaincre le Denver Club, créé pourdévelopper la collection de peintures, d’acquérir L’Été74. À Rochester, c’est Le Printemps qui retint l’attention de la directrice de la Memorial Art Gallery, quoiqu’il ne figurât pas dans la liste des œuvres disponibles : « Y aurait-il une possibilité ? Seriez-vous disposé à nous aider ? Nous serions prêts à accepter un plâtre s’il n’y a pas moyen de l’avoir dans une autre matière75 », s’enquit-elle le 12 avril 1927. De même, à Worcester, Eggers n’était pas certain d’identifier le torse « inachevé » que lui proposait Goodyear, alors qu’il souhaitait profiter de la présence des œuvres pour y intéresser les trustees76. Par ailleurs, avec Maillol, ce n’était jamais simple. Comme celle de Lerolle quelques mois plus tôt, une longue lettre de Howard, du 18 septembre 1926, est très instructive sur ce plan. Goodyear attendait des fontes du Printemps et de L’Été – celle-ci peut-être pour Denver – mais Maillol prétendait n’avoir pas compris qu’il s’agissait de commandes fermes :

Il dit que si vous voulez L’Été en bronze, il vous le fournira à la date convenue, mais sans bras, car il n’est pas satisfait des bras originaux et ne peut pour l’instant en faire de nouveaux du fait qu’il consacre toute son énergie à la nouvelle figure debout que vous avez vue inachevée [Vénus] et qui, entre nous, devient de plus en plus belle. Pour Le Printemps, il est désolé mais c’est trop tard car il a promis le dernier exemplaire disponible à un autre client. Rien à faire sur ce point77.

Quant au Torse « inachevé », il n’avait pas le temps de le reprendre comme il l’avait espéré, mais si Goodyear s’en contentait tel quel, il le donnerait à fondre. Prudemment, Howard s’abstint de demander combien de temps cela prendrait :

Je sais qu’il n’aime pas ce genre de questions et qu’il les écarte d’un revers de main comme on fait avec des pensées désagréables. C’est difficile à comprendre mais il faut se souvenir que si M. Maillol avait une notion du temps plus précise, il ne pourrait pas travailler à certaines œuvres pendant dix ou quinze ans, en y revenant chaque fois avec la même fraîcheur que si c’était une œuvre nouvelle. C’est à cette forme de folie que le monde doit les chefs-d’œuvre inestimables qu’il produit parfois78.

[19] Un mois plus tard, Howard reconnut que la situation n’avait pas changé. « Pour ce qui est de la Vénus à laquelle il travaille toujours, il n’est pas opposé à l’idée de vous céder le premier exemplairemais il ne veut rien promettre79. » Le Désir demeurait disponible, mais Maillol ne pouvait maintenir le prix qu’il avait fait d’abord à Lerolle. Sans revenir sur les engagements pris (85 000 francs pour le torse et L’Été), il demandait désormais la même somme pour une fonte en plomb du seul relief dont, précisait Howard, deux exemplaires étaient encore disponibles mais pouvaient être vendus à tout moment ; aussi « plus vite ils seront commandés, plus vous aurez de chance de les obtenir80 ». Il ajoutait qu’il était possible aussi d’obtenir un autre exemplaire du torse si la décision était prise rapidement. Maillol y avait retravaillé après la première fonte, de sorte qu’il n’était plus « inachevé81 ». Goodyear se laissa convaincre et l’œuvre peut sans doute être identifiée à celle qui se trouve aujourd’hui à la National Gallery of Art, à Washington.

[20] Goodyear vendit sa collection personnelle en janvier 1964, quelques semaines avant sa mort, pour créer un fonds destiné à soutenir les acquisitions de l’Albright-Knox Art Gallery. Il avait fait don à celle-ci dès 1929 du torse « inachevé », en plâtre, qui avait figuré à l’exposition de 1925 (no VI) et il la fit encore bénéficier du legs de plusieurs sculptures : une petite terre cuite, Rêverie, provenant de la collection Zoubaloff82, un torse en plâtre, Jeunesse, et quatre autres plâtres qui avaient été exposés en 1925, le fragment du Monument à Cézanne (no III), les deux Figures drapées (nos VII et VIII) et le Nu (no IX). Entre-temps, toutes les œuvres qui étaient passées entre les mains de Goodyear, qu’elles lui appartinssent encore ou qu’elles eussent été données à des musées, figurèrent à l’exposition « Aristide Maillol, 1861–1944 » organisée par Andrew C. Ritchie à Buffalo en 1945. Lorsque l’institution rendit hommage à celui-ci en 1996, les Buffalo News n’hésitèrent pas à le qualifier de « supporter de la sculpture moderne » et à souligner son audace83.

New York (1929–1960) : les galeries Weyhe et Brummer, le cercle du MoMA

[21] L’exposition itinérante organisée par Goodyear en 1925–1927, « pas importante en nombre mais haute en qualité, si l’on prend en compte la production limitée du sculpteur et la difficulté qu’il y a à obtenir des exemples de son travail84 », fit connaître Maillol aux États-Unis. Des articles publiés notamment dans The Arts familiarisèrent le public avec son travail, tandis que, dès son ouverture, le MoMA présenta régulièrement ses œuvres et que les galeries Weyhe et Brummer montraient sculptures et dessins.

[22] Erhard Weyhe (1883–1972), surtout connu comme marchand de livres anciens et d’estampes, avait ouvert à New York en 1919 une galerie qui exposait régulièrement des œuvres de Maillol sur papier et de petites sculptures85. Les livres de comptes de la galerie Vollard à Paris86 montrent qu’il acquit auprès d’elle plus de 80 bronzes de Maillol entre 1924 et 1928 : c’était sans doute la seule façon de s’en procurer pour les importer à New York, étant donné les réticences de l’artiste. Le principal représentant de Maillol était cependant Joseph Brummer (1883–1947), qui avait renoncé à une carrière artistique (commencée dans l’atelier de Rodin) pour ouvrir une première galerie à Paris, puis une seconde à New York en 1914. Celle-ci joua un rôle très important dans les milieux de l’art contemporain, mais on y trouvait aussi des œuvres antiques, médiévales et orientales ; la plupart des grands musées américains comptèrent parmi ses clients.

[23] Brummer avait accueilli dans sa galerie new-yorkaise en janvier 1926 l’exposition organisée par Goodyear. Du 3 janvier au 28 février 1933, il présenta de nouveau « Sculptures by Maillol », avec des plâtres dont il était possible de commander des fontes (Fig. 7).

7 L’Exposition « Maillol » à la galerie Brummer à New York, 3 janvier – 28 février 1933, épreuve argentique, 18,3 × 23,9 cm, photographe : Soichi Sunami. Fondation Dina-Vierny – musée Maillol, Paris (courtesy fondation Dina-Vierny – musée Maillol)

Un précieux cahier, dont il existe un exemplaire dans les archives Brummer et un autre à la fondation Dina-Vierny – musée Maillol, contient des photographies de ces plâtres avec des indications de dimensions et de prix (Fig. 8).

8 Fiche de la Baigneuse se coiffant, proposée à la galerie Brummer en 1933, in : Cahier beige, p. 5. Fondation Dina-Vierny – musée Maillol, Paris (courtesy fondation Dina-Vierny – musée Maillol)

Une des dernières pages précise les conditions dans lesquelles était montée l’exposition – « Monsieur Brummer prend à sa charge tous les frais […]. Monsieur Maillol prend à sa charge, au départ seulement, la remise en état des pièces défectueuses87 » –, complétées par la mention manuscrite suivie de la signature des deux hommes : « Monsieur Maillol s’engage à ne vendre en Amérique aucune pièce exposée avant la date six mois après l’exposition – aucun plâtre ne sera vendu à des particuliers88. »

La question des plâtres avait été débattue, Brummer voulant obtenir des « plâtres originaux […] avec le privilège de Maillol de les vendre89 ». La première œuvre mentionnée est Méditerranée, mais elle est indiquée comme « pas à vendre » ; vient ensuite la grande version de la Baigneuse se coiffant, exécutée directement en plâtre par l’artiste en 193090, dont Brummer proposait le bronze numéro 1,alors que, pour L’Île-de-France, par exemple, c’était déjà le numéro 3. Maillol s’inquiétait pour les plâtres, ayant appris « par voie indirecte qu’il [Brummer] aurait vendu celui du bas-relief [des] jeunes filles portant des couronnes et qu’il aurait aussi vendu des petits modèles plâtre pour lesquels, vous le savez, je ne vous ai pas donné de prix et ce sont les seuls qui me restent pour en faire des bronzes chez Rudier – ils ne doivent donc pas être vendus en plâtre mais en bronze91 ». L’exposition avait été « très, très difficile » à organiser, en raison de l’état des plâtres dont tous les témoignages concordent pour dire que Maillol, qui n’avait pas bénéficié de formation de sculpteur, les montait au petit bonheur la chance. Ernest Brummer s’en plaignit à son frère :

La plupart des sculptures que tu as vues dans son atelier étaient tellement fragiles qu’il fut impossible de les transporter ; presque toutes étaient sans rien à l’intérieur et minces comme une feuille de papier. II a fallu les renfoncer [sic] et dans certains cas couler d’autres épreuves ; et en plus Maillol a exigé absolument qu’un moulage de chaque pièce reste à Paris « c’est le travail de toute ma vie et si le bateau coule il ne me restera rien ». – J’ai été obligé de l’accepter, tout ceci a demandé beaucoup de travail et de temps et aussi de dépenses92.

[24] « Exposition grand succès. Plus de vingt mille personnes l’ont vue. Avons vendu quelques pièces mais plus grande vente pas terminée93 », télégraphia Joseph Brummer à Maillol le 18 février 1933. L’exposition montrait un Maillol peu vu jusqu’alors, car y figuraient notamment des fragments plus ou moins accidentels (le fragment de face d’Ève, par exemple, ou le torse de Méditerranée) et des plâtres ayant gardé toutes les traces de moulage (Baigneuse d’après le bois appartenant à Kessler). La préface du catalogue était due à Goodyear, à qui Brummer avait demandé de l’écrire parce qu’il connaissait l’artiste « mieux que qui ce soit d’autre dans ce pays94 ». Celui-ci avait dû démissionner de ses fonctionsà Buffalo en 1928, à la suite du scandale que causa l’acquisition de La Toilette de Pablo Picasso, mais il continuait à défendre Maillol : à cette date, il était installé à New York et s’était engagé dans le projet du Museum of Modern Art, dont il fut le premier président95.

[25] À côté des dons que lui-même consentit et qui furent largement répercutés dans la presse, Goodyear sut convaincre le cercle de collectionneurs proches de l’institution (dont ils étaient d’ailleurs les fondateurs pour la plupart) de s’intéresser à l’artiste : Abby Aldrich Rockefeller, la vice-présidente du Board ; Frank Crowninshield, le secrétaire, éditeur de Vanity Fair (devenu grâce à lui une prestigieuse revue littéraire) et admirateur inconditionnel de Charles Despiau, dont il voulut posséder un exemplaire de chaque œuvre ; les trustees Stephen Carlton Clark et Samuel A. Lewisohn, ou encore John A. Dunbar, Mrs Simon Guggenheim, entre autres. Les œuvres qu’ils avaient collectionnées ne tardèrent pas à rejoindre des collections muséales : dès mars 1940, Mrs Rockefeller donna ainsi au MoMA les sculptures qu’elle avait rassemblées pendant les vingt années précédentes, par Antoine Bourdelle, Honoré Daumier, Charles Despiau, Georg Kolbe, Gaston Lachaise, Wilhelm Lehmbruck, Henri Matisse, Amadeo Modigliani, François Pompon… et Aristide Maillol, représenté par quatre œuvres dont une Baigneuse debout et une Femme se coiffant acquises chez Brummer en 1936 au plus tard96. Lewisohn légua à la même institution, en 1952, le Torse de la Jeunesse qu’il avait acquis vers 193097. D’autres musées profitèrent également de la générosité des collectionneurs : dès 1934, Arthur T. Aldis, sa femme et son fils donnèrent au Art Institute of Chicago deux petits bronzes, un nu assis dit Pudeur et un Nu accroupi ; l’Albright Art Gallery acquit La Nuit (fonte par Alexis Rudier) en 1939 grâce au James G. Forsyth Fund ; la Vénus de John A. Dunbar (1900–1974), la deuxième fonte réalisée par Rudier en 193098 et qui avait figuré à l’exposition « Wilhelm Lehmbruck – Aristide Maillol » au MoMA la même année, rejoignit en 1941 le City Art Museum de Saint-Louis via la galerie Brummer. Les sœurs Claribel et Etta Cone acquirent dès le 5 mars 1930, peut-être sous l’influence de Matisse, grand ami de Maillol (Fig. 9), une fonte de la Baigneuse se coiffant, demi-nature, auprès de PaulVallotton à Lausanne (Baltimore Museum of Art, Baltimore)99. Le legs de Maurice Wertheim au Fogg Art Museum en 1951 comprend un exemplaire de L’Île-de-France (acquis à New York en 1949) et la Tête féminine qui était restée dans la collection de Goodyear après l’exposition de 1925100.

9  Aristide Maillol et Henri Matisse chez Maillol, à Marly-le-Roi, devant la figure du Monument à Claude Debussy (La Musique), [vers 1930], épreuve argentique, 44,3 × 32,5 cm, photographe : Pierre Matisse. Baltimore Museum of Art, Baltimore, The Cone Collection formed by Dr Claribel Cone and Miss Etta Cone of Baltimore, Maryland, 1950.1977.19.8 (photographie de Mitro Hood, courtesy Baltimore Museum of Art)

[26] Cette période se termina avec l’exposition « Aristide Maillol » organisée en 1945 à l’Albright Art Gallery par Andrew Ritchie, qui en était alors directeur : avec 40 sculptures (dont le Torse de l’Action enchaînée en bronze acquis l’année précédente par le lieutenant Wright S. Ludington auprès de la Buchholz Gallery101), 42 dessins, 12 estampes et 6 livres illustrés ainsi que, dans le catalogue, la liste des œuvres de Maillol conservées aux États-Unis, c’était de loin l’exposition la plus importante qui eût été consacrée à l’artiste jusque-là. Tous les musées détenteurs d’œuvres de Maillol avaient consenti à des prêts, ainsi que les galeries Weyhe et Buchholz, largement sollicitées. Une version réduite de l’exposition fut ensuite présentée à New York, à la Buchholz Gallery ouverte en 1937 par Curt Valentin (1902–1954), qui succéda à Brummer comme principal représentant de l’artiste aux États-Unis. Ritchie mettait l’accent sur la volonté de synthèse de Maillol : « Maillol est un architecte de la sculpture. L’intérêt de la surface, qu’il s’agisse de bois ou de terre cuite, n’est pas sa préoccupation première. Il se soucie d’abord de la structure sous-jacente et de l’organisation des masses102. » Mais il faisait aussi remarquer que c’était la référence à la nature, toujours présente, « une référence subtile, que l’on détecte dans un détail minime, à un élément de la réalité du modèle103 », qui donnait toute sa profondeur à son travail.

[27] Au même moment se construisaient deux grandes collections dans lesquelles Maillol était bien représenté. Stephen Carlton Clark (1882–1960)104 faisait partie des fondateurs du MoMA – auquel il donna House on the Railroad d’Edward Hopper en 1929 au moment où Goodyear donnait le Torse de l’Île-de-France. Cet homme d’affaires, qui était l’un des héritiers de la fortune Singer, présida le conseil d’administration du MoMA de 1939 à 1946 et constitua comme son frère Sterling une très importante collection qu’il répartit entre la Yale University Art Gallery, à New Haven (car il avait fait ses études à Yale), la National Gallery of Art, le Met et le MoMA. Il avait acquis des œuvres importantes de Rodin – Le Penseur dédicacé à Loïe Fuller et la fonte unique de L’Homme au serpent réalisée pour Anthony Roux105 –, de Despiau (qu’il collectionna sans doute dès 1927), de Maillol106 et de Brâncuși, dont il posséda un Oiseau dans l’espace.

[28] Le 17 juillet 1932, Clark remercia Pierre Matisse de les avoir emmenés, sa fille et lui, chez Maillol à Marly-le-Roi107. Avant même d’avoir reçu sa lettre (les deux courriers se croisèrent), Matisse lui avait communiqué les dernières informations obtenues de Maillol : celui-ci travaillait au modèle d’une figure en pierre et pensait qu’il l’aurait finie deux ou trois mois plus tard. Il faudrait ensuite la mouler puis faire la mise au point, ce qui prendrait l’hiver. Maillol la terminerait à Marly, au printemps suivant, en revenant de Banyuls où il passait toujours les mois les plus froids.

Vous avez pu voir combien l’œuvre est belle déjà et ce n’est pas difficile d’imaginer ce qu’elle donnera une fois terminée. L’artiste est complètement pris par son sujet et en pleine possession de ses moyens. C’est exactement le genre de statue qui convient à un jardin : souvenez-vous qu’en plein air, ce qui paraît très grand semble absolument naturel108.

S’ensuit une longue justification du prix demandé pour cette figure (150 000 francs) et pour un bronze, Nu accroupi (Crouching Nude, 95 000 francs), que Clark trouvait très élevé. Matisse conclut : « Mon opinion est que vous avez la chance extraordinaire de pouvoir obtenir, avec la figure à laquelle il travaille, une de ses plus belles œuvres et, j’ose le dire, à un prix très bas109. » Clark confirma l’achat du bronze en septembre110, puis il acquit d’autres sculptures de l’artistedont Flore, une des quatre Saisons Morozov (rachetée par Dina Vierny chez Christie’s, à New York, le 13 novembre 1984) et un petit marbre, Nude Woman Kneeling111 (Fig. 10) qui se rattache à la série des études pour la figure du Monument à Claude Debussy. C’est difficilement que Pierre Matisse avait obtenu ce marbre :

Maillol, que j’ai été voir, est en train de finir le fameux marbre qu’il m’avait promis et comme je ne paraissais pas très chaud il ajouta : Eh ! si vous n’en voulez pas, je le vendrai à un autre ! Je n’ai pas refusé mais demain je vais lui poser la question de prix qui ne peut être le même, d’autant plus que la tête ne fait pas partie du même morceau et qu’il y a tant de veines dans le marbre qu’il a décidé de faire comme Bourdelle, de le teindre112 !

10 Aristide Maillol, Nu assis, 1932, marbre, 31,8 × 27,9 × 13 cm. Norton Simon Art Museum, Pasadena, don de Jennifer Jones Simon, M.2009.1.S (courtesy Norton Simon Art Foundation)

[29] Ces deux dernières œuvres sont visibles sur les photographies prises par Anna Wachsmann pour l’album Stephen C. Clark Art Collection and House (16 exemplaires imprimés en 1961). Flore est à l’extérieur, sur la terrasse de l’installation new-yorkaise du collectionneur, dans un espace délimité par des éléments de cloîtres français qui se trouvent aujourd’hui aux Cloisters, et le marbre est dans la galerie, dont une extrémité était occupée par Le Penseur de Rodin (Fig. 11). La collection comportait aussi des exemplaires en bronze de Léda et de la Baigneuse se coiffant (H. 81 cm, fonte de Claude Valsuani no 2), qui furent légués par Susan Vanderpoel Clark au Met en 1967.

11 Anna Wachsmann, La Galerie, photographie issue de l’album Stephen C. Clark Art Collection and House, 1961. Clark Art Library, Williamstown (courtesy Clark Art Library, Williamstown)

[30] L’achat le plus important effectué par Clark est toutefois Méditerranée, en bronze, pour le MoMA. Le projet était né en 1938. Il était soutenu par Mrs Simon Guggenheim qui avait obtenu l’accord de l’État français, nécessaire puisque la version en marbre (1923–1927) appartenait aux collections nationales113. N’ayant pas abouti alors, il fut relancé avec l’aide de Rewald, qui connaissait bien Maillol, à l’occasion de ses 80 ans, événement pour lequel le MoMA réunit toutes ses œuvres de l’artiste114. Il fut encore repris en 1948 et financé par Clark115, mais, malgré l’insistance de Lucien Maillol, qui faisait valoir qu’Eugène Rudier, seul capable d’exécuter une fonte de qualité pour une œuvre de cette dimension mais ne resterait sans doute pas longtemps en vie (il mourut en effet en 1952), le MoMA ne se décida pas. Lucien revint encore une fois vers Barr en 1951 pour lui proposer la « dernière épreuve disponible116 » : elle était destinée à la tombe de Maillol, mais il se proposait de la remplacer par La Nuit au prétexte qu’un autre exemplaire était visible non loin de là, dans le patio de l’hôtel de ville de Perpignan.

[31] Méditerranée arriva en 1953 au MoMA, lequel, rappelons-le, s’était séparé deux ans plus tôt du Torse de l’Île-de-France, une des œuvres pourtant les plus représentatives d’une volonté de simplification qui conduisit Maillol à l’extrême limite de la représentation naturaliste. Le MoMA avait eu en effet pour politique de transférer les meilleures œuvres de ses collections historiques à d’autres musées. Mais désormais, comme Barr l’expliqua à Marcel Aubert, à qui avait été confié le musée Rodin après la guerre, l’institution souhaitait « conserver un petit noyau d’œuvres essentielles des xixe et xxe siècles auxquelles d’autres viendr[aie]nt s’ajouter au fil du temps117 ». Méditerranée rejoignait ainsi le Torse de l’Action enchaînée déposé par le Met en 1948 et la spectaculaire Rivière, acquise en 1949 (en même temps que L’Atelier rouge de Matisse de 1911) à la suite de l’exposition de Ritchie. C’était la dernière œuvre achevée par l’artiste, « une magnifique floraison finale d’invention audacieuse et de puissance créative, chez un homme qui avait été, de son temps, le plus grand sculpteur au monde118 », comme le fit valoir Barr dans le communiqué de presse. Pièce maîtresse du jardin de sculptures dessiné par Philip Johnson au MoMA (1964), c’est cette figure, commente Véronique Wiesinger, « rapprochée de Vir Heroïcus Sublimis [1951] de Barnett Newman, qui ouvr[ait] le panorama des origines de la modernité – accouplement qui étonnera sûrement les Français, mais qui vient en droite ligne d’Alfred Barr119 », lors de l’exposition « ModernStarts » en novembre 1999.

[32] Nelson Aldrich Rockefeller (1908–1979) était lui aussi étroitement lié au MoMA, dont sa mère avait été la première vice-présidente. En mai 1939, il succéda brièvement à Goodyear comme président. Grand collectionneur, intéressé par la sculpture, il eut en sa possession plusieurs œuvres de Maillol dont un petit marbre acquis plus tard par Paul Mellon120 et trois grands bronzes qui se trouvent aujourd’hui encore dans les jardins de Kykuit, le domaine des Rockefeller à Sleepy Hollow, dans la vallée de l’Hudson : le Torse de l’Action enchaînée, présenté en majesté à l’extrémité d’une allée, la Baigneuse se coiffant grandeur nature, installée au centre d’un parterre (Fig. 12a et 12b), et La Nuit en bordure d’une prairie dominant le fleuve. Le 15 décembre 1954, Daniel Wildenstein avait signalé à Barr qu’il disposait de la Baigneuse et de la Pomone acquises auprès de Maillol : « Comme vous le savez, Rudier a fondu quatre exemplaires de chaque du vivant de l’artiste et ce sont l’un de ces exemplaires dans les deux cas121. » Huit jours plus tard, Barr transmit l’information à Rockefeller :

J’ai découvert, littéralement dans un escalier secondaire chez Wildenstein, deux figures grandeur nature de Maillol qui pourraient vous intéresser. […] La Pomone est une figure tôt, célèbre. […] Pour autant que je sache il n’y a aucun autre exemplaire en grande dimension de la Baigneuse dans ce pays. Je connaissais la petite version et je pense que c’est une des plus belles œuvres de Maillol122.

Elles venaient directement de l’artiste, assurait Wildenstein, ce qui était important « car il cour[ai]t le bruit que la veuve de Rudier s’[était] laissé[e] aller à faire des fontes posthumes, au-delà de l’édition légale123 ». Quant au torse, ajoutait-il, il avait hésité à le mettre en vente à la galerie Curt Valentin car son avenir était encore incertain.

12a La Baigneuse se coiffant d’Aristide Maillol devant la façade sud-ouest de Kykuit, le domaine des Rockefeller à Sleepy Hollow, photographie sans date, technique et dimensions inconnues (Library of Congress, Washington, DC, Prints and Photographs Collection, HABS NY, 60-POHI, 1A-9)

12b  Le Torse de l’Action enchaînée d’Aristide Maillol dans les jardins de Kykuit, le domaine des Rockefeller à Sleepy Hollow, photographie sans date, technique et dimensions inconnues (Library of Congress, Washington, DC, Prints and Photographs Collection, HABS NY, 60-POHI, 1-2)

Les efforts de John Rewald et de Dina Vierny pour la renommée posthume de l’artiste

[33] Dans l’immédiat après-guerre, l’intérêt pour Maillol diminua en dépit des efforts de l’historien de l’art John Rewald (1912–1994) et, plus tard, de Dina Vierny. Né à Berlin, Rewald avait quitté l’Allemagne pour la France en 1932 avant d’émigrer aux États-Unis en 1941 : soutenu par Barr, il y poursuivit ses travaux sur Paul Cézanne et l’impressionnisme, organisa d’importantes expositions et enseigna à Princeton (1961), puis à Chicago (1964–1971) et à New York. Ainsi qu’il le raconta lui-même, il avait découvert Maillol vers 1925 à la Tate Gallery de Londres, où le Torse de l’Action enchaînée l’avait fortement impressionné. Grâce, sans doute, au critique d’art et collectionneur George Besson124, il fit la connaissance de l’artiste une dizaine d’années plus tard, à Marly, où celui-ci recevait le dimanche des amis, des admirateurs, des marchands, des opportunistes et des snobs (« favor seekers and celebrity hunters125 »). Maillol remarqua le jeune étranger.

Ils n’échangèrent que peu de mots au milieu de tous ceux qui cherchaient à attirer l’attention du Maître, mais celui-ci dit tout de même à son visiteur intimidé qu’il devrait venir à Banyuls au printemps et qu’il leur serait alors possible de passer quelques heures tranquilles ensemble. Un événement incroyable s’était produit avec cette invitation informelle126.

Maillol insista le 20 janvier 1938 : « J’aime beaucoup que l’on m’aime. […] Je serai prêt à vous recevoir vers le mois de juin, époque où je rentrerai à Marly-le-Roi, à moins que vous ne fassiez un voyage dans le midi127. » Et le 18 avril : « Vous ne me dérangerez pas, car je me repose en faisant des dessins d’arbres dans la campagne pour un volume des Géorgiques – nous ferons une promenade dans le pays128. » Rewald séjourna donc quelques jours à Banyuls, en avril 1938, écoutant l’artiste âgé lui parler de son travail, des artistes qu’il avait admirés, de sa conception de la sculpture, de son rapport à la nature… Leurs entretiens se poursuivirent à Marly pendant l’été et donnèrent naissance à un article paru dans Le Point en 1938, « Les ateliers de Maillol », aussi intéressant par la description précise des lieux, maison et atelier, à Banyuls et à Marly, dans lesquels vivait Maillol quepar la transcription de leurs discussions129. Rewald définit ainsi le travail de l’artiste :

Pour Platon, la forme et l’idée ne faisaient qu’un, et c’est ainsi que moi-aussi je les comprends. Ce sont la forme et l’idée préconçue qui guident l’artiste. Puis la grâce, la force et tous les autres éléments viennent s’ajouter au cours du travail, ce qui fait que l’œuvre est non seulement la réalisation d’une idée, d’une conception intellectuelle, mais encore une œuvre d’art130.

L’année suivante, il publia aux éditions Hyperion une monographie bien illustrée et aussi bien documentée qu’il était alors possible, en français et en anglais131. Appuyée sur le Maillol de Judith Cladel132, l’introduction, qui comporte un certain nombre d’erreurs – que lui fit remarquer l’artiste133  – contient une version plus courte des échanges entre les deux hommes et se termine par une belle description du travail de Maillol pour L’Air.

[34] En mars 1941, juste avant de partir pour les États-Unis, Rewald retourna à Banyuls, conscient que c’était sans doute la dernière fois qu’il voyait Maillol (Fig. 13). Les deux hommes mirent ensemble au point un document préservant le droit d’auteur de Rewald pour son livre sur Maillol134. La jeune Dina Vierny posait alors pour ce qui devait être la dernière œuvre de l’artiste, Harmonie, ainsi baptisée sur une suggestion de Rewald135.

C’était un spectacle étonnant : deux filles nues, côte à côte, unies et pourtant différentes ; un spectacle qui permettait de se rendre compte clairement de latransformation opérée par l’artiste. Cela rendait évident que le modèle n’était qu’un guide pour le sculpteur, et avec quelle obstination il poursuivait son idée de départ136.